Deux mots,
une (auto)introduction
La véritable activité d'un dessinateur, c’est son regard ; celle d’un auteur de musique, c’est une écoute à partager.
J’écoute et je suis de fait plus regardeur que “fabriqueur”. Toutefois la question du faire survient : c’est alors une contemplation active qui m’anime (suite à une forme d'inquiétude). Une œuvre d'art est un parcours marqué par des bornes, des étapes de maturité, passant d’études en nouvelles énigmes…
Au sujet des pièces d’art :
L’important est la sollicitation de l'imagination par une liberté d’appréhension, associée à une richesse sensitive, quitte à ce qu’on ne perçoive qu’une partie de la proposition dans le temps. J’aimerais soutenir le génie de mon prochain s'impliquant individuellement, entièrement. En toute conscience, mes propositions plastiques ne sont pas toujours faciles à percevoir. Il m'importe de déjouer l’évidence ou la réduction médiatique.
Tout peut partir d’une idée pseudo-banale (l’idée n’étant pas une fin), frôlant le connu, le poncif, l’évidence, mais basculant les sens vers une autre approche, une nouvelle attention extrêmement précise. La pièce n'apparait pas sans rencontre individuelle.
Voyons ce qui vibre là, l’inouïe contingence, cette complexité du "signal sur bruit", de la matière et du silence, en confiance avec le corps, car c’est lui qui pense. Tentons d’improbables transmissions par une écoute au-delà des usages et de l'usure audio-visuelle de masse.
L'aventure moderne des sciences de la nature m’est aussi incontournable que la vie de l’art ; voilà de quoi je suis contemporain.
Il y a autant de doutes que de discours possibles, ou de sophistique. Je doute même de l’adéquation pure du sens d'une pièce d’art avec nos perceptions.
Mes propositions se livrent comme intrigues ou espaces d’accueil individuels. Il s’agit d’en prendre connaissance par soi-même, en surmontant les analogies. C’est relativement physique, avec des durées, pour qu’on ne commence pas dans une distance immédiate illusoire : l’interprétation vient après. Puis encore après. L’art plastique dont j’hérite ne dépend pas de la langue, sans pour autant ignorer la logique. Mon faire n’est pas le produit d’un discours — je pense que l'art n'est pas une affaire de langage.
Plutôt que d'atteindre un but, les propositions pointent au delà de la finitude*apparente.
L’œuvre d’art donne suite à ce qui est, à l'organisation du monde actuel, contrairement aux illustrations, contrairement au quotidien, contrairement au côté sournois de la représentation — son conservatisme.
Ce sont les limites du présent (de la présence), du processus de l'œuvre, que l'art occupe, à une distance radicale du défilé ad nauseam des images.
Ce qui (m')inspire aujourd'hui est une énigme puissante : l’espace. L’intrigue qui (me) fait penser et bouger : ce sont les contours de “l’inconnaissance”, avec ces plages claires et sombres que nos nouvelles lumières dessinent.
Comment appréhender cette inconnaissance naturelle par l’art, sans obscurantisme ? LL 2016
* Quentin Meillassoux Après la finitude, Seuil, 2006-2012